Les joies et les défis d’exploiter un gîte
08 sept. 2021Accueil chaleureux, déjeuner savoureux, chambre confortable : le plaisir de séjourner dans un gîte est tel que bien des gens ayant vécu l’expérience en tant que vacanciers envisagent une reconversion et s’empressent d’acquérir un bed & breakfast… pour le revendre quelques années plus tard. Témoignages et conseils de propriétaires avertis.
Nicole Vincent et Michel Comte ont acquis le gîte touristique Au Cœur de Magog, en 2016. Tous deux travaillaient dans le domaine de l’hôtellerie-restauration depuis 30 ans et habitaient dans l’ouest de Montréal.
« C’est un projet de retraite qu’on a devancé. On a cherché pendant cinq ans avant d’acheter ce gîte-là, qui est différent puisqu’il est formé de trois maisons collées, dont l’une comprend nos espaces privés incluant un salon. C’était un point essentiel dans notre démarche, car c’est vraiment le fun d’avoir des aires communes avec les clients, mais à un moment donné, tout le monde a besoin d’un endroit bien à lui », constate Mme Vincent. Dans bien des cas, les nouveaux propriétaires de gîtes ne se rendent pas compte de cette nécessité et c’est ce qui les pousse à cesser leur activité au bout de quelques années.
Des espaces privés : un critère crucial
Ce manque d’intimité, Patrick Louche-Pelissier, Christine Jouve et leurs deux enfants l’ont vécu pendant huit ans. D’origine française, ce couple de voyageurs cherchait à la base un gîte dans le sud de la France, mais les prix élevés de l’immobilier l’a rapidement dissuadé. L’occasion s’est présentée de séjourner dans un gîte à vendre en Estrie. « On a vu là une belle opportunité, surtout que le Québec est francophone ; alors on a acheté Le Saut du Lit, en 2004 », raconte M. Louche-Pelissier.
Ils ont donc fait leur demande d’immigration dans le but d’obtenir la résidence permanente afin de pouvoir exploiter leur commerce. Une démarche que bien des Européens entreprennent pour le même type de projet.
On y est allés un peu trop les yeux fermés. Le gros point négatif, c’est qu’on n’avait pas d’espace privé confortable.
Patrick Louche-Pelissier
Et puis, c’est bien plus prenant que ce qu’on pensait. Il y a énormément de temps de présence, une grosse partie administrative à gérer qui demande une gestion importante au quotidien », explique M. Louche-Pelissier, qui regrette aussi de n’avoir pu s’occuper de ses enfants autant qu’il le souhaitait. Cuisinier de métier, il avait plaisir à préparer les déjeuners de ses hôtes et croit que les tâches administratives auraient sans doute été moins contraignantes si sa famille et lui avaient pu profiter d’un endroit bien à eux.
Une nouvelle organisation
Plusieurs propriétaires se sont succédé Au Saut du Lit et des travaux ont été effectués pour bonifier les appartements privés, qui comprennent deux chambres et une salle de bains. C’est cet avantage-là qui a convaincu Marie-Ève Rheault et Maxime Dextradeur de l’acquérir il y a quatre ans, après avoir cherché la perle rare pendant un an. Autre critère essentiel pour ce couple estrien : s’installer dans le coin de Magog-Orford, qu’il considère comme un lieu de prédilection tant en matière de tourisme que pour y vivre.
« On a eu un coup de cœur pour ce gîte-là qui correspondait à notre réalité familiale, en plus d’être situé à proximité du centre-ville », remarque la jeune femme de 33 ans, qui a travaillé dans le tourisme. « L’expérience d’avoir un gîte m’a toujours attirée pour ses tâches multiples. Mon conjoint a un emploi à temps plein au service des loisirs de Sherbrooke, mais il jumelle les deux activités. »
Planification optimale
Très dynamique, Nicole Vincent, du Cœur de Magog, est présidente de l’Association des gîtes Memphrémagog et siège au conseil d’administration de l’Association Hôtellerie Québec en tant que représentante des gîtes. « Je me rends compte que de nombreux propriétaires ignorent ce qu’est la réalité du quotidien. Ils voient le côté agréable de préparer les déjeuners pour 10 personnes, sans penser que c’est sept jours sur sept, du printemps à l’automne, et qu’il faut faire le ménage à fond. Si on a envie de prendre des congés, il faut s’organiser à l’avance pour fermer. Je connais des propriétaires de gîtes qui ont vendu complètement écœurés parce qu’ils n’avaient pas pris de vacances en 10 ans. »
Conscients de la nécessité d’équilibrer la vie de famille et le travail au gîte, Marie-Ève Rheault et Maxime Dextradeur y élèvent leurs deux fillettes. « C’est sûr qu’on a toujours des défis au quotidien, mais c’est stimulant. Il faut juste veiller à se garder un équilibre, notamment pour être en mesure d’accueillir des gens en plus basse saison », note Mme Rheault.
Obligations et conseils immobiliers
Nicole Vincent indique que les gîtes n’ont pas suivi l’augmentation fulgurante de la valeur des résidences privées parce qu’acheter un B & B, c’est acheter un commerce. Par ailleurs, la mise de fonds doit être de 50 % et les banques sont très frileuses pour prêter, parce qu’elles savent que les revenus générés sont souvent modiques.
Selon Marie-Ève Rheault, il faut tenir compte avant tout de la localisation, car si la maison possède de belles prestations, mais qu’elle est loin des services, c’est plus difficile d’afficher « complet ».
La réputation du gîte est aussi très importante et les propriétaires successifs du Saut du Lit en ont grandement bénéficié. « La maison proprement dite doit provoquer un coup de cœur, mais il ne faut pas pour autant négliger de faire une inspection du bâtiment », conseille-t-elle. Le meilleur moyen pour acheter au juste prix est de faire un comparatif avec les autres et de se renseigner auprès d’un courtier immobilier spécialisé ou d’une association de gîtes. Généralement, les vendeurs restent sur place le temps de passer le relais aux acquéreurs, ce qui est la meilleure façon de prendre les rênes.
Patrick Louche-Pelissier et sa conjointe gardent tout de même un excellent souvenir de leur expérience, parce qu’ils ont adoré l’aspect humain. « L’accueil a été comme naturel pour nous ; même fatigués, quand ça sonnait à la porte, il y avait toujours un sourire sur le visage des gens et c’est ce qui nous donnait l’énergie d’accueillir. Le fait de partager avec eux était vraiment agréable. Et puis, on reçoit chez nous, alors on peut rester tel qu’on est à 100 %, ce qui est différent de l’hôtellerie. C’est une aventure humaine plus qu’un business classique où l’on peut se nourrir de l’autre. »
Il recommande de mettre le gîte à ses couleurs en ciblant une niche précise. « C’est bien d’avoir des passions communes, comme la nourriture, la musique, parce qu’on partage le même espace, que ce n’est pas un lieu de passage impersonnel. »
Même son de cloche de la part des autres propriétaires interviewés. « Avoir un gîte, c’est un mode de vie. Si vous pensez avoir de gros revenus, oubliez ça. La richesse passe par les rencontres et on voyage à travers notre clientèle », conclut Nicole Vincent, qui offre aux personnes désireuses de se lancer dans l’aventure de vivre l’expérience de travail auprès d’elle et de son mari lors d’une fin de semaine.