La renaissance du plus vieux marché public de Montréal aura été de courte durée : Station Angus du marché de Lachine a déposé son bilan le 20 janvier, moins de deux ans après son ouverture.
Les dettes de l’entreprise, détenue par Brahm Aronovitch, s’élèvent à plus de 500 000 $. La Ville de Montréal et la Corporation de gestion des marchés publics de Montréal sont parmi les plus importants créanciers, selon les documents de la faillite obtenus par La Presse.
Dans l’aventure, des dizaines de milliers de dollars de fonds publics ont été engloutis. Des subventions de près de 170 000 $ avaient été accordées à ce marché par les programmes PRAM-Commerce de la Ville de Montréal (138 917 $) et Renouveau Notre-Dame, administré par PME MTL West-Island (30 000 $).
La mairesse de l’arrondissement de Lachine, Maja Vodanovic, voulait faire de Station Angus un « symbole de revitalisation » de la rue Notre-Dame.
« Depuis quelques mois, nous travaillons avec l’organisme Rues Principales afin de mettre en place une vision cohérente de nos différentes rues commerciales, ciblant adéquatement le type de commerces dont nous avons besoin, et mettre en place la réglementation appropriée, a-t-elle commenté jeudi par courriel. Nous nous inspirerons aussi de l’analyse des marchés de Montréal, produite par Ivanhoé Cambridge, car une réflexion s’impose. »« Cet homme-là a escroqué des gens »
De son côté, Raphaël Richard, copropriétaire de la Brasserie Dépareillée, n’est pas d’humeur joyeuse. Sa petite entreprise risque de ne jamais revoir les 1700 $ qui lui sont dus. Cela peut sembler peu, comparativement aux 50 000 $ réclamés par la Corporation de gestion des marchés publics de Montréal en loyer impayé, mais il s’agit tout de même d’une somme importante pour une jeune microbrasserie de Yamachiche.
Je me suis fait raconter des salades.
Raphaël Richard, copropriétaire de la Brasserie Dépareillée, joint au téléphone par La Presse
Début janvier, cet entrepreneur s’est rendu au marché de Lachine pour percevoir son dû. « J’ai parlé au propriétaire, Brahm, qui m’a dit : “Je m’excuse, je suis en retard dans mes paiements, mais ne t’inquiète pas, je vais te payer. Je vais t’envoyer un courriel.” »
M. Richard n’a jamais reçu de courriel. Et Brahm Aronovitch n’a pas donné suite à ses appels. Il n’a pas non plus rappelé La Presse.
« On sent que c’était calculé, que c’était prémédité, dit-il. On n’est pas des tatas. Cet homme-là a escroqué des gens et savait très bien ce qu’il faisait. Pour nous, 1700 $, c’est énorme. On va essayer de faire pression aux bons endroits, mais on espère surtout qu’il y aura une enquête. Ce genre de situation est trop facile. Et trop de détaillants l’utilisent pour en tirer profit et recommencer autrement. »
Contrat de location
Station Angus offrait notamment des plats cuisinés sur place, des saucissons, des fromages fins, des marinades, des fruits et des légumes et une sélection de bières locales.
L’arrondissement de Lachine est propriétaire du marché public. Mais la location de l’espace est assurée par la Corporation de gestion des marchés publics de Montréal (CGMPM), qui chapeaute aussi les marchés Jean-Talon, Atwater et Maisonneuve. Le bail, conclu « de gré à gré » en 2018, prévoyait une occupation de plusieurs années.
« La CGMPM suit étroitement la situation de chacun des marchés qui sont sous sa responsabilité ou qui sont administrés selon une entente de gestion, comme c’est le cas au marché de Lachine », déclare Julien Baudry, membre du conseil d’administration de l’organisme, qui a été plongé dans une crise sans précédent l’été dernier.
« En tant que créancier, nous étudions la situation afin de faire valoir nos droits, ajoute-t-il. Mais ça demeure une situation exceptionnelle. Les faillites sont très rares dans les marchés publics. »
« Triste et regrettable »
Au nombre des fournisseurs de Station Angus, on retrouve plusieurs brasseries, dont Dépareillée, Dunham, Vrooden, Les Brasseurs du Nord, Les Trois Mousquetaires, la Microbrasserie de l’Île d’Orléans, la Microbrasserie du Lac, Le Castor, Pit Caribou, Loup rouge et le Trou du diable.
« C’est triste et regrettable, dit Simon Gaudreault, copropriétaire de la Brasserie Dunham, fondée en 2011. Ces faillites ont un impact sur les petites entreprises comme nous. Il n’y avait rien qui nous permettait de croire que ça allait mal. »
M. Gaudreault a une créance de 1500 $. La somme due à la boulangerie Arhoma, autre fournisseur du marché d’alimentation, est plus importante : 4000 $.
« Trois, quatre de nos clients font faillite par année depuis qu’on est en affaires », avance Jérôme Couture, chef boulanger et copropriétaire d’Arhoma, qui ne s’attend pas à revoir la couleur de son argent. « Il y a plein de monde à payer avant nous. Rendu à notre tour, il n’y aura plus un sou. »