L’habitation modelée par la pandémie
27 juil. 2020La pandémie force une réflexion sur l’habitation. Elle accélère l’instauration de pratiques qui existaient déjà, mais à plus petite échelle. En voici quelques-unes, qui gagneront en importance.
Un espace pour travailler
« La COVID a ouvert une porte sans précédent pour réfléchir au télétravail, indique Hugo Gagnon, associé chez NEUF architect(e)s. Cela va probablement demeurer une option beaucoup plus importante qu’avant. »
Il incorporait déjà régulièrement des espaces multifonctionnels, aisément adaptables au télétravail, dans des logements. Il est persuadé qu’il en intégrera davantage. Ceux-ci peuvent occuper 60 pi2 (dans un espace ouvert), 90 pi2 (dans une alcôve attenante à une fenêtre pouvant être fermée) ou 120 pi2 (dans une pièce multi-usage avec par exemple un lit rabattable). Tout dépend des besoins.
L’intégration d’espaces de travail va devenir une plus-value, croit Marco Fontaine, vice-président, résidentiel et marketing, chez Devimco Immobilier. « Le défi est de rendre l’espace confortable sans faire exploser le nombre de pieds carrés et augmenter les coûts », dit-il.
DevMcGill intégrait déjà des petits espaces pour travailler dans plusieurs de ses unités. Au Noca, dans Griffintown, le promoteur est allé plus loin en proposant, dans certains condos de deux ou trois chambres, une pièce aux multiples possibilités, fermée avec une porte coulissante. Celle-ci peut servir de chambre d’ami (grâce à son lit escamotable), de salle de télé ou de bureau. « Cela a été populaire, indique Stéphane Côté, président de l’entreprise. On va essayer de l’offrir ailleurs. »
Patrick Blanchette, cofondateur de Blanchette Architectes, s’est aussi penché sur diverses façons d’intégrer des bureaux dans des endroits parfois fermés pour avoir davantage d’intimité, ou encore ouverts, pour surveiller les enfants. « Pendant le confinement, les gens se sont réapproprié des espaces mal-aimés, qui ne peuvent être fermés parce qu’ils n’ont pas de fenêtres, pour y faire du yoga, y travailler à l’écart, faire des conférences Zoom. On va essayer d’en intégrer davantage. »
Sus aux microbes
La pandémie va rendre les vestibules de nouveau populaires, estime Elian Sanchez, associé à l’Agence Six, spécialisée dans la mise en marché de projets résidentiels. « Les gens veulent une aire de protection entre le corridor et leur espace de vie principal », constate-t-il.
« En concevant les condos, plusieurs ont eu tendance à oublier de faire un espace intermédiaire entre la porte d’entrée et l’intérieur, fait remarquer Hugo Gagnon, associé chez NEUF architect(e)s. J’essaie de conserver ce rituel de transition psychologique, mais aussi physique. La COVID-19 nous rappelle qu’il est important de créer une enceinte où on peut laisser les chaussures et les effets personnels qui ont été en contact avec l’extérieur. »
L’architecte Patrick Blanchette croit que les plans de logements vont changer à la suite du confinement. On verra plus souvent des salles de bains près de l’entrée. « Cela permettra d’éviter une possible dispersion virale dans le logement, explique-t-il. En arrivant, il est possible de prendre une douche ou de se laver les mains. »
Une plus grande attention sera aussi accordée aux matériaux utilisés, à la faveur de produits antibactériens, comme des plans de travail de Laminam ou en quartz. « Les espaces seront de plus en plus hygiéniques, croit Hugo Gagnon. Il y aura un désir d’avoir des espaces avec des surfaces plus lisses, pour ne pas accumuler de poussière et éviter la contamination. Les étagères avec beaucoup d’objets vont prendre moins d’importance. »
Les robinets sans contact pourraient aussi devenir plus populaires.
Sus aux microbes (bis)
Dans les espaces communs, les boutons d’ascenseur et les poignées de porte représentent des risques inutiles, fait remarquer l’architecte Hugo Gagnon. « La COVID-19 va accélérer l’implantation de solutions pour ne toucher pratiquement à rien avant d’entrer chez soi, prédit-il. Elle va permettre d’aller plus loin et plus vite vers la maison intelligente. »
Devimco Immobilier a entamé un processus d’analyse et de soumission pour réaliser des parcours sans contact à partir du garage, révèle Marco Fontaine, vice-président, résidentiel et marketing, de l’entreprise. « Une carte d’accès, par exemple, peut permettre d’ouvrir certaines portes et d’utiliser l’ascenseur. »
L’architecte Patrick Blanchette soulève l’idée d’intégrer des zones de désinfection dans le hall d’entrée des immeubles, pour ériger une première barrière. Il a conçu du mobilier incluant du produit désinfectant, des tablettes, une poubelle et du rangement pour Le Lignery, une résidence pour aînés en construction à Saint-Constant. « La préoccupation face à l’hygiène va rester, croit-il. On ne construit pas un immeuble pour les cinq prochaines années. Il faut utiliser l’expérience actuelle pour améliorer nos façons de faire. »
Dans un plus petit projet locatif de 31 unités, le 5400 Papineau, dans le Plateau Mont-Royal, au stade de l’approbation, son équipe et lui ont presque éliminé tous les espaces communs (et la surcharge d’entretien qu’ils occasionnent). Ils ont remplacé les couloirs par des coursives extérieures. Résultat : les logements sont devenus traversants (avec des fenêtres à chaque extrémité). Il n’y a plus d’ascenseur. « Les gens seront surtout amenés à se croiser à l’extérieur, précise M. Blanchette. Les coursives seront aérées. Les contacts visuels avec le voisinage, en revanche, seront accrus, permettant de se voir et se parler de loin. »
Travailler dans les espaces communs
Des espaces de travail partagés s’implantent depuis quelque temps dans des tours d’habitation. Ils se multiplieront et prendront différentes formes.
« Au Noca, nous avons conçu des espaces très grands, indique Stéphane Côté, président de DevMcGill. Les gens peuvent lire ou travailler dans la bibliothèque, dans le lounge et dans de grandes marches sur deux niveaux, éclairées par un puits de lumière. C’est mieux que dans un café Starbucks ! Étant dans Griffintown, on s’adresse à des travailleurs autonomes, des créateurs de startups, des gens qui voyagent beaucoup et font du télétravail. On a pensé nos installations comme dans un hôtel, pour échanger et recevoir des partenaires.
« Les logements sont plus petits, mais les aires communes vont devenir plus grandes, pour que les résidants se changent les idées et reçoivent des clients, poursuit-il. L’avenir passe par les petites entreprises. De grands espaces où il y a de la place pour s’asseoir et travailler, en gardant ses distances, devraient toujours fonctionner. Il y aura une évolution, pour créer des zones où les gens ne peuvent pas être empilés les uns sur les autres. »
Le St Ann, qui est aussi dans Griffintown et accueille ses premiers locataires, comporte également des espaces de travail dans les aires communes. « On y croit beaucoup et on en met dans tous nos projets », indique Marco Fontaine, vice-président, résidentiel et marketing, de Devimco Immobilier. Or à cet endroit, en plus des grandes tables autour desquelles plusieurs peuvent s’installer (moins indiqué ces temps-ci), une pièce a été aménagée pour ceux qui voudraient s’isoler. Celle-ci peut même se diviser en deux, à l’aide d’une cloison coulissante. « On va améliorer ce concept pour faire plus d’espaces de travail individualisés », prédit M. Fontaine.
En contact avec l’extérieur
Le confinement a mis en évidence l’importance d’avoir accès à des espaces extérieurs. Avec son équipe, Stéphane Côté, président de DevMcGill (une division de Cogir Immobilier), a ainsi décidé de créer des espaces extérieurs variés, qui permettront de marcher, s’asseoir sur des bancs et faire diverses activités, dans un projet qui n’est pas encore lancé (Le Newman, à LaSalle). Il aura plus de latitude (et de terrain), puisque le complexe ne sera pas au centre-ville de Montréal. « Les gens veulent être dehors et se promener », constate-t-il.
Être connecté avec la nature était déjà une tendance, indique Elian Sanchez, associé à l’Agence Six. Cela va devenir encore plus important à cause de la COVID-19. « Les unités avec de grandes terrasses ou de grands balcons se vendent plus vite, constate-t-il. C’était le cas avant et cela va s’accélérer. »
Dans des immeubles de plusieurs étages, comme au Sax Sur Le Fleuve, dans le Vieux-Montréal, un système de portes coulissantes donne l’impression de se trouver à l’extérieur, indique Hugo Gagnon, associé chez NEUF architect(e)s. « Lorsqu’il y a aussi de grandes fenêtres ouvrantes, le salon et la salle à manger peuvent ressembler à une loggia, précise-t-il. Si possible, une ventilation croisée, qui encourage les brises, contribue au succès de l’expérience. »
Selon lui, l’accès à l’extérieur depuis l’espace privé sera de plus en plus prisé.